1er mai 1891 à Fourmies
(extrait de Au prix du silence le roman de Céline de Alain MORINAIS)
Depuis
1889, à l'appel de l'Internationale ouvrière, le 1er mai
est un jour de manifestation, notamment pour réclamer la limitation de la
journée de travail à 8 heures.
Au premier jour du
mois de mai, comme cela s’était déjà produit pour la première fois l’an
dernier, presque partout, des ouvriers, des ouvrières aussi, avaient manifesté
publiquement devant les mairies ou les préfectures, portant leurs
revendications de la journée de huit heures et d’une véritable législation du
travail qui mettrait fin aux abus des patrons. À Marseille, Saint-Quentin,
Lyon, Bordeaux, Charleville, Nantes, à Paris bien sûr et dans tant d’autres
villes, ils furent brutalement assaillis, chargés sauvagement par la
gendarmerie, la police et l’armée mobilisées. Enfin, ça c’est ce qu’en disait
Rose lorsqu’elle rentrait le dimanche soir d’Arcueil-Cachan où elle avait eu à
connaître un beau garçon paraît-il entiché d’elle et du syndicat, car, d’après
les propos échangés par ces messieurs les amis de Monsieur, remontés contre les
socialistes et les anarchistes, on ne pouvait tout de même pas laisser les
ateliers et les boutiques se vider, les rues et les places regorger d’employés,
endimanchés en semaine, occupés à protester au lieu d’aller travailler.
Toutefois, Céline avait bien entendu quelques invités d’un soir, elle ne les
revit plus par la suite, s’offusquer de ce qu’ils disaient être néanmoins une
terrible boucherie de gens pacifiques qui n’avaient en rien troublé l’ordre
public, c’est pourquoi elle se joignit à tous les gens de la Maison rassemblés,
debout au dernier étage, autour de Rose racontant un dimanche ce qu’elle avait
appris des événements de Fourmies.
Ce jour là, malgré
la menace des fabricants de licencier tous ceux qui cesseraient le travail, les
ouvriers en habits de fête se réjouissaient du magnifique rayon de soleil qui
les accompagnait si nombreux, on n’avait jamais vu tant de monde en famille
circuler dans les rues, chanter et crier « c’est les huit heures qu’il
nous faut ». Cependant, la gendarmerie à cheval avait chargé, et déjà
procédé à de nombreuses arrestations, lorsque la foule, devenue coléreuse,
arriva sur la place du marché où l’attendait tout un régiment de soldats, tous
armés, pour essayer, une toute première fois, le tout nouveau fusil Lebel à
poudre sans fumée, neuf balles en tout, une dans le canon, huit en magasin. Le
porte-drapeau-rouge s’avance en tête du cortège, les plus jeunes manifestants
s’énervent, la foultitude pousse, l’armée recule, le commandant gueule
« Feu ! feu rapide ! feu !... », ils ouvrent le feu
sans même respecter les sommations réglementaires ; moins d’une minute.
Combien de temps aurait duré le carnage si le curé n’était pas sorti en hurlant
« assez de victimes », les
quatre jeunes filles venaient d’avoir dix-sept et vingt ans, deux enfants
allaient à l’école, deux jeunes camarades conscrits de l’année et un ouvrier
d’à peine trente ans, neuf morts, trente cinq blessés tombés sous les balles du
195ème régiment[i].
Le petit ami de
Rose prétend que l’enquête sur la tuerie de Fourmies a été enterrée par le
gouvernement craignant de désigner à la population horrifiée les vrais
coupables de l’hécatombe, et de révéler les nombreux cas de soldats désobéissant
aux ordres de fusillades. Il dit que des sous-officiers du 84ème,
appelé en renfort, refusèrent de faire feu, un homme de la troupe du 145ème,
pour ne pas avoir tiré, fut jeté à terre par son officier revolver au poing —
Ma mère, je vois ma mère, là, dans la foule, aurait crié le bidasse affolé.
Georges avait
conclu, — Une enquête introduirait l’indiscipline par l’exemple dans l’armée,
et conduirait sans doute les soldats, enfants du peuple, à retourner plus
souvent leurs armes contre ceux qui ordonnent les massacres.
[i] Réunis dans un syndicat de
patrons, les fabricants de Fourmies, cité ouvrière au confluent de l’Aisne et
des Ardennes, espéraient mater la population ; au contraire, le travail
cessa à Fourmies durant toute une semaine. Dans les centres industriels, des
grèves éclatèrent pour la réduction de la journée du travail et l’augmentation
des salaires. Toute la contrée entra en ébullition. Les ouvriers baptisèrent la
place du marché : « place Lebel », la rue Elliot où tombèrent
les victimes : « rue du Crime ». Tout Fourmies participa aux
obsèques de ses enfants assassinés ; on refusa l’accès du cimetière au
maire et aux conseillers municipaux, les familles des victimes refusèrent
l’argent offert par les autorités pour les frais des funérailles et leurs
besoins ; les ouvriers leur apportèrent les sommes recueillies par
souscription, toute la France versa. Des délégations de la région, de Lille, de
Roubaix, vinrent à l’enterrement. Le cimetière devint un lieu de
pèlerinage où chaque dimanche des travailleurs des villages avoisinants
accouraient pour déposer des gerbes sur les tombes des victimes.
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