J’ai intégré l’équipe de volley-ball des
cadets de l’USMA,
l’Union Sportive Municipale Audonienne,
dès la reprise des entraînements, à la
mi-septembre.
Tous les mercredis soir de 20 heures à 22
heures,
nous succédons aux stars de la boxe du
Red-Star-Olympique
dans le gymnase des pompiers,
face au stade Ampère, à côté de la
piscine.
Je viens toujours un peu avant l’heure
voir Jo Gonzales.
Il est là, à sauter à la corde, à taper
dans un sac de sable,
ou sur le ring au sol avec son
sparring-partner,
lui, Jo la Foudre,
qui sera sacré quatre fois champion de
France
et vice champion olympique.
À le regarder, humble et travailleur,
j’ai compris combien le soin et le temps
sont nécessaires à une bonne préparation en dehors de la pratique de la
discipline sportive en elle-même.
Avec Michel et Alain, deux coéquipiers,
par ailleurs voisins de quartier,
nous compléterons les entraînements
officiels
par des séances improvisées
dès que nous disposerons d’un moment
commun de liberté.
Il suffira à l’un de siffler sous la
fenêtre de l’autre pour le voir rappliquer quand il le pourra.
Les échanges de balles se feront en
travers de la rue,
la gardienne de l’immeuble interdisant
les jeux de ballons dans la cour.
Les matches du dimanche matin seront
programmés,
organisés et encadrés par deux adultes,
dont je regrette d’avoir oublié avec le
temps les prénoms,
même si l’image de leur visage me reste
bien présente.
Des hommes, comme il en existait encore à
l’époque,
d’une disponibilité et d’un dévouement
bénévole impensables aujourd’hui,
et sans lesquels rien n’aurait pu se
faire
et rien ne se fait plus à présent, de ce
point de vue.
Le dimanche au soir,
je rédigerai les articles racontant nos
exploits,
mais aussi nos défaites,
publiés dans le Réveil de Saint-Ouen
chaque semaine
durant mes cinq années de compétitions
cadettes
puis juniors sous les couleurs
audoniennes.
Impossible de me remémorer notre
palmarès.
Ce n’était d’ailleurs pas vraiment
l’objectif.
Nous jouions chaque adversaire pour
lui-même,
avec l’envie du beau jeu,
de remporter la victoire bien sûr, mais
ça s’arrêtait là,
sans préoccupation d’addition.
Les coupes et les titres venaient, quand
ils venaient,
en plus.
C’était l’occasion de la grande fête de
l’USMA
au mois de juin,
mais là, nous n’étions plus sur le
terrain,
et si la fête comptait, c’était pour le
plaisir d’elle-même,
pour le bonheur de découvrir Françoise
Hardy
pour la première fois sur scène après la
sortie de Tous les garçons et les filles,
pas pour la gloire d’un résultat
quelconque.
Nous trouvions la récompense de nos
efforts
dans la beauté d’un mouvement collectif
où chacun à sa place contribuait à
marquer le point.
Nous avons tant appris de choses par la
pratique d’un sport
où l’équipe ne peut-être qu’une et
indivisible.
Je fréquente aussi la nouvelle
bibliothèque.
Elle abrite un salon discothèque meublé
de profonds fauteuils équipés de casques d’écoute individuelle.
Il suffit de sélectionner un vinyle, 33
ou 45 tours,
de le remettre à l’hôtesse, très jolie,
toujours debout derrière son comptoir
couvert de plateaux tourne-disques,
et d’aller s’installer pour écouter la
musique de son choix.
Ma dernière année à Jaurès m’avait vu
récompensé
d’un prix d’honneur avec en cadeau un
disque de Duke Ellington.
Je viens ici depuis cette révélation de
la musique de jazz.
J’y ai découvert Ella Fitzgerald et Louis
Armstrong dans Porgy and Bess,
Sidney Bechet, Art Blakey et les Jazz
Messengers,
tout en dessinant à main levée,
mon carton à dessins servant de chevalet
posé sur mes genoux.
J’ai besoin de ces moments solitaires
qui caractériseront durablement ma
relation à la musique.
Paul est le secrétaire général très actif
du service municipal de la jeunesse et de la culture.
Il est l’organisateur de toutes les
manifestations culturelles dans la ville.
À ce titre, il collabore à la création du
carnaval de Saint-Ouen, de la fête champêtre du Réveil, de spectacles de
solidarité dont mon père est l’initiateur.
Paul est devenu un ami de la famille.
Malgré les dix ans et plus qui nous
séparent,
nous sommes à présent très proches ;
ni copains, ni frères, ni père et fils,
mais une bonne dose de chaque
et un très grand respect mutuel qui forge
une amitié particulière,
et reste encore aujourd’hui l’une de mes
références fondatrices majeures.
Jean-Pierre, lui, est un copain
avec qui je partage la même contestation
des injustices
d’un monde que nous rêvons tout haut de
chambouler.
Nous avons créé l’embryon d’un cercle de
jeunes communistes.
Nous-nous réunissons régulièrement chez
Jean-Pierre
et nous tentons d’accompagner, à notre
manière,
autonomes,
les combats sociaux de nos aînés.
J’ai demandé à Paul d’intercéder en notre
faveur
au niveau municipal,
et d’obtenir pour nous la possibilité de
nous réunir dans un local communal.
La réponse du maire sera
la fourniture de pots de peinture et de
matériels de restauration d’une cave laissée à l’abandon.
Nous y bosserons les jeudis et dimanches
après-midi,
avant de pouvoir y organiser nos
réunions,
des assemblées-débats, mais aussi les
boums des jeudis
et quelques rencontres artistiques,
qui deviendront autant de rendez-vous
appréciés de la jeunesse audonienne.
Nous aurons le privilège d’y recevoir
Jean Ferrat,
bien avant qu’il devienne l’artiste
reconnu,
célébré de tous quelques mois plus tard.
Je le revois encore,
modeste et réservé,
dans son costume de velours côtelé beige
clair,
sa chemise bleue cravatée,
interpréter comme il le fera plus tard
devant des salles combles,
mais cette fois, seulement pour la
vingtaine de copains réunis ce jour-là,
des titres qui régneront bientôt sur
toutes les ondes des radios nationales.
Nous échangerons ensuite avec cet immense
artiste
qui se révélera partager chaleureusement
nos idéaux.
Difficile aujourd’hui,
pour un adolescent, d’imaginer une
jeunesse
vécue avec la guerre pour horizon.
Depuis 1956, le contingent est appelé à
faire une guerre qui tait son nom et ses horreurs en Algérie.
J’ai eu pour camarade de classe le fils
de Harry Salem,
dit Henri Alleg.
Henri Alleg est un journaliste
franco-algérien
membre du parti communiste français,
ancien directeur d’Alger Républicain.
Il est l’auteur de La Question.
Un ouvrage écrit en prison interdit par
la censure.
Il y dénonce la torture pratiquée par
l’armée française.
Il
témoigne des sévices qu’il a lui-même subi.
Le livre circule clandestinement.
Il est l’objet de nos conversations
permanentes,
souvent jusque très tard dans la nuit.
Avec Salem, nous refaisons le monde
après nos réunions de la JC.
Traversant Saint-Ouen à pied par les rues
désertées,
nous-nous raccompagnons mutuellement,
chez l’un,
puis chez l’autre,
retour chez l’un, retour chez l’autre,
en navettes bavardes incessantes jusqu’à
épuisement.
La paix en Algérie devient notre
préoccupation première.
Les attentats de l’OAS nous mobilisent.
J’ai été particulièrement marqué par
l’adhésion de ma mère
qui, dans la nuit de la tentative du
putsch d’Alger,
a rejoint spontanément les rangs du parti
communiste.
Depuis, avec mes camarades,
nous prenons notre place dans les tours
de gardes nocturnes
des locaux de la JC,
sensibles aux attentats.
Je participerai à ma première
manifestation
pour la paix en Algérie et contre l’OAS.
Ce sera Charonne, 9 morts et plus de 250
blessés.
Je serai délégué à Évian.
Nous porterons une pétition
soutenant les négociations en cours entre
la France et le gouvernement provisoire de la
République algérienne.
Elles déboucheront sur un cessez-le-feu et
la fin du conflit, après le referendum d’autodétermination.
Au retour d’Évian,
j’adhère au parti communiste,
contre l’avis de mes parents.
Il me trouve bien jeune pour un tel
engagement.
J’apprends alors à écrire des discours
avec France Nouvelle,
l’hebdomadaire du comité central du
parti.
Je recopie et réécris des articles en
modifiant le vocabulaire
et la syntaxe, sans changer le sens du
texte,
enfin, j’essaye.
Je découvre ainsi un exercice de
compréhension
qui me permet de confronter rapidement ma
façon de voir les choses
avec
l’expression politique officielle.
Je découvre
aussi très-très vite,
combien le
parti ne supporte pas les nuances.
Qu’à cela ne tienne !
Je poursuivrai dans cette
voie,
comprenant que c’est la
seule façon de rester en accord avec moi-même.
Au départ, ça ne prêtera
pas à conséquences.
— Il est bien trop jeune
pour encore tout comprendre… disaient-ils.
Avant 11 - La légende du matador
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