5 - Il me reste de Poum des grands moments de regards échangés

Extrait de Le chemin mène à demain Mes lambeaux de mémoire


Il me reste de Poum des grands moments de regards échangés


Poum a l’accueil des chiens fous,
fou de liberté jamais assouvie,
incapable de maîtriser sa joie de vivre,
ni ses élans d’idolâtries cabotines,
ni ses détestations féroces.
Il aboie en variations vocales exubérantes irrépressibles.
Il tire et saute en bonds désordonnés
stoppés brutalement par la longe de sa niche de béton dans son enclos grillagé.
Il exulte à l’heure du retour de l’école.
Il sait qu’il sera détaché dès que mes devoirs seront faits,
après que j’aurai fini de goûter.

Poum est mon chien.
Corniaud d’épagneul à robe noire et gorge blanche,
mes parents l’ont adopté, jeune chiot paisible plutôt dormeur,
et sauvé d’une terrible maladie de Carré
tardivement diagnostiquée.

Pendant des jours,
déclinant,
déclaré mourant,
il s’est traîné
dans l’ombre de dessous les marches de l’escalier d’entrée
qui conduisait chez-nous à l’étage.
Ma mère l’a soigné jours et nuits,
comme l'on soigne un enfant perdu,
sans trop savoir comment,
mais le cœur, à force de vouloir,
emprunte souvent des chemins incertains qui s’avèrent parfois être les bons.

Après des semaines d’une lente agonie,
Poum revint lentement, discrètement, miraculeusement à la vie,
un amour démesuré dans les yeux,
à dévisager ces humains, devenus ses humains,
occupant la maison de sa renaissance,
idolâtrés d’avoir plus encore que lui espéré en lui.

Il gardera toutefois de cette longue agression virale
des séquelles neurologiques le rendant incontrôlable.

Lorsque je le détachais pour son moment de liberté,
il virevoltait à mes côtés au risque de me faire tomber.
Il cherchait à m’embrasser, se dressant sur ses pattes arrière,
jetait celles de devant sur mes épaules.
Après m’avoir follement léché le visage
et reçu une ration suffisante de caresses,
il filait, traversant le jardin
il prenait de l’élan,
bondissait, s’agrippait, se rétablissait sur le haut du mur,
à deux mètres du sol,
et sautait vers l’aventure,
dans le terrain en friche qui nous séparait des voies de chemin de fer.

Fourbu,
souvent sale
à ne savoir ce qu’il avait pu faire,
il revenait à l’attache,
sans qu’il y ait eu besoin de l’appeler.

Au retour de colonie de vacances,
Poum avait disparu.
Ma mère me dit qu’il avait été retrouvé empoisonné.
Sans doute un voisin excédé.
Nous n’aurons plus jamais de chien à la maison.

Dans ma mémoire en lambeaux,
il me reste de Poum des grands moments de regards échangés,
immobiles.
Il me semblait enfin apaisé,
je crois qu’il l’était.
Et je pouvais lire dans ses yeux,
un mélange de douceur caressante à la vouloir partager,
mêlée d’une forme d’interrogation
épouvantée.


© Alain MORINAIS 

Avant Les mystères de la maison Jaune
Suite 6 - Je suis un enfant de la radio 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Un mot sympathique, un avis avisé, une critique fine… Quel que soit votre commentaire, merci par avance. Alain MORINAIS