Il me reste de Poum des grands moments de regards échangés
Poum a l’accueil des chiens fous,
fou de liberté jamais assouvie,
incapable de maîtriser sa joie de vivre,
ni ses élans d’idolâtries cabotines,
ni ses détestations féroces.
Il aboie en variations vocales
exubérantes irrépressibles.
Il tire et saute en bonds désordonnés
stoppés brutalement par la longe de sa
niche de béton dans son enclos grillagé.
Il exulte à l’heure du retour de l’école.
Il sait qu’il sera détaché dès que mes
devoirs seront faits,
après que j’aurai fini de goûter.
Poum est mon chien.
Corniaud d’épagneul à robe noire et gorge
blanche,
mes parents l’ont adopté, jeune chiot
paisible plutôt dormeur,
et sauvé d’une terrible maladie de Carré
tardivement diagnostiquée.
Pendant des jours,
déclinant,
déclaré mourant,
il s’est traîné
dans l’ombre de dessous les marches de
l’escalier d’entrée
qui conduisait chez-nous à l’étage.
Ma mère l’a soigné jours et nuits,
comme l'on soigne un enfant perdu,
sans trop savoir comment,
mais le cœur, à force de vouloir,
emprunte souvent des chemins incertains
qui s’avèrent parfois être les bons.
Après des semaines d’une lente agonie,
Poum revint lentement, discrètement,
miraculeusement à la vie,
un amour démesuré dans les yeux,
à dévisager ces humains, devenus ses
humains,
occupant la maison de sa renaissance,
idolâtrés d’avoir plus encore que lui
espéré en lui.
Il gardera toutefois de cette longue
agression virale
des séquelles neurologiques le rendant
incontrôlable.
Lorsque je le détachais pour son moment
de liberté,
il virevoltait à mes côtés au risque de
me faire tomber.
Il cherchait à m’embrasser, se dressant
sur ses pattes arrière,
jetait celles de devant sur mes épaules.
Après m’avoir follement léché le visage
et reçu une ration suffisante de
caresses,
il filait, traversant le jardin
il prenait de l’élan,
bondissait, s’agrippait, se rétablissait
sur le haut du mur,
à deux mètres du sol,
et sautait vers l’aventure,
dans le terrain en friche qui nous
séparait des voies de chemin de fer.
Fourbu,
souvent sale
à ne savoir ce qu’il avait pu faire,
il revenait à l’attache,
sans qu’il y ait eu besoin de l’appeler.
Au retour de colonie de vacances,
Poum avait disparu.
Ma mère me dit qu’il avait été retrouvé
empoisonné.
Sans doute un voisin excédé.
Nous n’aurons plus jamais de chien à la
maison.
Dans ma mémoire en lambeaux,
il me reste de Poum des grands moments de
regards échangés,
immobiles.
Il me semblait enfin apaisé,
je crois qu’il l’était.
Et je pouvais lire dans ses yeux,
un mélange de douceur caressante à la
vouloir partager,
mêlée d’une forme d’interrogation
épouvantée.© Alain MORINAIS
Avant Les mystères de la maison Jaune
Suite 6 - Je suis un enfant de la radio
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