Mes grains de sable au goût de
groseilles salées
Aussi profond que je puisse
fouiller dans la boîte à images de ma mémoire,
je dois avoir quatre ou cinq
ans sur les moins floues
et il n’est nul besoin de
tirage sur papier pour les revoir.
Nous sommes en vacances à
Beg-Léguer.
Prononcez “bèg lé guèr”.
Beg-Léguer, c’est là où la
route finit dans la mer.
J’ai longtemps cru
que mes parents s’y étaient
arrêtés parce qu’il n’est pas possible d’aller plus loin.
C’étaient les premières
vacances familiales d’après la guerre.
Pour l’heure,
la cloche de la
chapelle de granit surplombant la plage en décompte quatre,
l’heure du
quatre-heures.
Mémème a préparé le
goûter
fait de larges
tartines de pain blanc beurré demi-sel
et couvertes de
confiture de groseilles,
qu’elle retourne et
colle deux à deux,
prenant soin que la
marmelade ne déborde,
avant de les glisser
au fond d’un sac de toile cirée bleue, fermé serré par une cordelière.
Assis dans une flaque
oubliée de la marée,
je plonge et replonge
sans cesse mes mains dans le sable mouillé,
à la recherche des
couteaux filant entre les doigts.
Tous les jours à la
plage depuis le début de juillet,
je suis accompagné du
doux regard de sentinelle affectueuse de mon arrière-grand-mère,
douce et ferme à la
fois.
Je joue souvent à la
chasse aux couteaux avec Vladia.
Vladimir, dit Vladia,
mon camarade d’un été,
âgé d’environ trois
ans de plus que moi,
est le fils unique
d’un Russe blanc, chauffeur de taxi parisien, logeant sans maman
à la pension de
famille sur la route de Servel.
—
Alain! mon petit, il est l’heure du goûter...
Je me lève d’un bond,
pressé de croquer mes
tartines groseillées.
Mais
je suis stoppé net,
jambes écartées.
Mon slip de laine
mouillée pend démesurément jusqu’à m’empêcher de marcher.
Pendant les longues
heures de surveillance attentive,
mon chaperon m’a
tricoté un beau maillot de bain noir, brodé d’un petit lapin blanc,
juste à ma taille…
quand il est sec.
Dodelinant des
hanches,
jambes tendues,
je lance les pieds au
plus loin pour avancer malgré le poids de la laine gorgée d’eau.
Je retiens ma culotte
d’une main serrée sur l’élastique.
Vladia me prend le
bras resté libre pour m’aider.
Nous rejoignons Mémème,
tout de noir vêtue à la mode bretonnante,
assise sur un pliant
de bois à l’abri d’un creux de roches chargées de goémon.
Malgré cette
protection naturelle,
des volutes de sable
fin virevoltantes sous le vent
viennent parfois
mourir à couvert, s’immisçant dans les moindres recoins.
Les petits grains de
silice collés aux confitures craquettent, craquent et crissent sous les dents,
donnant à ces tranches
de pain breton une saveur jamais plus retrouvée.
Vladia partage le
goûter, assis sur un petit rocher rond.
Je sèche sur une
serviette nids-d’abeilles de coton blanc,
mordant ma tartine
d’un bel appétit
et scrutant l’horizon.
Je cherche l’île de
Batz et Roscoff
que l’on voit par
temps clair,
là-bas, de l’autre
côté de la mer.
Roscoff…
ça sonne comme
ruscoff,
le père de
Vladia.
Mais j’ai
entendu pépère Francis dire que c’est le pays de mes arrière-arrière-etc...
grands-parents.
C’était il y a
longtemps,
les Angles venus
du Nord avaient créés l’Angleterre en chassant les Gallois de cette Bretagne devenue
la Grande-Bretagne.
Ces Anglais
poussèrent les Gallois à venir se réfugier ici,
en Armorique,
notre Bretagne
d’aujourd’hui ;
enfin ça, je
l’ai vraiment compris plus tard,
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